
Léonardo Cremonini
"Tout grandit en se changeant en souvenirs."
Anton Van Wilderode
En visite dans une exposition de peinture,
J'ai lu ces quelques lignes, anonymes,
Et j'ai envie de les partager...
Tombeau du peintre de mon enfance
Par un après-midi ensoleillé, un peintre apparut dans notre région
minière, un sale trou selon certains.
Aucun pittoresque local ne justifiait sa
venue. Ce fut furtif. On ne le revit jamais. On ne sut pas son nom.
Tous l’oublièrent
sauf l’enfant.
Différent du monde des ouvriers qui m’entourait, je fus subjugué par
son attirail.
Son chevalet de campagne vernissé, sa palette, sa boîte de
couleur apparurent comme de beaux jouets neufs
à celui qui en manquait tant en
ces premières années de guerre.
Le confondant avec un photographe, je le regardais faire par-dessus son
épaule
– j’avais déjà vu mes jeunes oncles faire des photos quand ils allaient
le dimanche nager à la rivière
ou jouer aux boules à l’auberge.
Je ne pus comprendre pourquoi son tableau ne ressemblait pas au paysage
que je connaissais.
J’en gardais l’impression forte d’un mystère, lequel, devenu artiste à
mon tour, ne me quitta plus.
Dans le paysage le plus prosaïque, le plus
indifférent,
il y aurait donc quelque chose que seul l’œil du peintre
décèlerait.
Plus tard, comprenant mon erreur, ma naïveté, je ne pus pas résister au
désir de la reproduire.
L’erreur est créative.
Voyez les impressionnistes
voulant la lumière du plein-air,
la cherchant dans les opaques boues colorées
de leurs tubes de peinture.
Au cours des années, j’ai beaucoup développé cette sensation.
Faire
revenir le fantôme du peintre dans le paysage m’a procuré une constante source
de plaisir.
Mon fantasme m’a même convaincu que sa seule présence pouvait créer
l’événement inattendu.
Sur une plage déserte du Portugal vous agitez des
pinceaux et un avion surgit de l’horizon.
Tout à sa peinture, le paisible
paysagiste ignore une mariée vilainement déflorée dans le pré.
De même, il peut
épauler subitement un fusil de gros calibre pour répondre à la dramaturgie du
paysage.
Il m’aura fallu plus de quarante ans pour aller jusqu’au bout de ce
souvenir d’enfance.
J’ai compris que mon ébranlement psychologique venait de la
brusquerie de cette présence
comme des photos-textes du Fantôme des Beaux-Arts
en 1975 au Peintres invisibles de 2008 m’y menait.
Voilà la pierre qui manquait à mon édifice. Je décidais de ne montrer
mon œuvre que sous signature cachée.
J’entrevis la possibilité de rendre à l’œuvre
sa vision première, sans surcharge de commentaires ou de références.
Tenant de
l’autofiction depuis la fin des années soixante, grâce à mon incognito,
je pus
me donner un champ d’action plus large,
le porter au point extrême, là où il
faut tout faire pour conjurer l’oubli, en forme de navette,
dont le va-et-vient
tisse notre présent et notre devenir d’artiste.
L’anonyme, Paris 2012
A mon tour, j'ai grandi...

A l'heure du numérique qui me permet d'écrire ici,
D'échanger avec celle ou celui qui "ouvre" cette "page",
D'envoyer mes photos sur le net ou sur des "nuages",
Je sais que là où se trouve ma vraie mémoire,
C'est dans ces allées semées de feuilles mortes,
Encombrées d'outils inutiles et envahies d'herbe folle...











Peu importe le ciel et sa couleur,
Là où se posent mes pensées et ma mémoire,
Rien ne peut arrêter mes souvenirs,
Même si certains s'évaporent en nuages...

"La pensée se forme dans l'âme
comme les nuages se forment dans l'air."
Joseph Joubert